Cela se
passe pendant les préliminaires ou les "échauffements", dans la nuit du 5 au 6 avril 2016, une nuit pas tout à fait omme les
autres.
Un
escargot se débarrasse prestement de sa coque... comme un pied quite sa chaussure
et la lance au loin, comme une langue se libère de la bouche qui la tient
enfermée depuis toujours.
Un escargot se débarrasse de sa coque pour pouvoir vivre sa vie, à sa guise,
dangereusement. Et marcher, trotter, courir et galoper librement.... et
mourir tout seul, de sa propre mort...
Tandis
que les laissés-pour-compte se lamentent : une bouche bâille et bafouille,
une coque cliquète comme un squelette qui a perdu son corps, une chaussure sans pied couine comme une orpheline.
*
Cela se
passait durant la première mi-temps de la nuit du 5 au 6 avril 2016.
Cela se
passait dans une pièce sans auteur, avec très peu de personnages et dans laquelle aucun événement ne survenait jamais. Une pièce avec deux portes, quelques armoires et des étagères remplies de livres bien tenus, propres sur eux, éduqués et disciplinés, numérotés ou classés par ordre alphabétique ou par ordre de taille. Une pièce avec des panneaux placardés sur tous les
murs : interdiction de porter des bottes ou des souliers à hauts talons,
interdiction d'avoir des idées et de les exprimer publiquement, interdiction de
tout et de n'importe quoi: de renifler, de tousser, de fumer, de rôter, de péter, de jurer, de cracher, de rêver (ou simplement d'imaginer), d'être concerné, d'avoir des répulsions ou des affinités, des amis ou des ennemis, de
touner bruyamment les pages d'un livre ou de lacérer les feuilles d'un journal.
On
m'avait permis de m'asseoir, en gands et chaussons, coiffé d'une cagoule, dans un coin de la pièce. Je n'avais pas la permission de poser des questions. J'avais juste le droit de regarder et de
rester invisible, le droit d'entendre et de me taire. Je pouvais seulement prendre
des notes. Sur ordre du bâtonnier des Lettres
(ayant toujours un code des bonnes pratiques dans une poche de son manteau
ou dans un tiroir de son bureau), il m'était strictement interdit de m'impliquer, d'intervenir, de parler aux personnages,
de réagir aux événements ou d'influer sur leur cours.
Quels
événements ? Il ne se passait jamais rien !
Quels personnages ? Des
créatures bizarres...
Ces créatures entraient par la porte de devant, une par une, avec des temps morts. Sans frapper. Elles sortaient ensuite, après avoir passé "un certain temps" dans la pièce, par la porte de derrière. Sans me voir. Elles ne prononçaient aucune parole et ne lisaient aucun livre.
Jamais je
n'ai pu savoir qui elles étaient, d'où ils venaient, ce qui les motivait ou qui
les envoyait, ni ce qu'elles devenaient ensuite...
Une
première créature avait le regard mort, éteint, flouté, crevé,. Elle portait un bracelet indiquant qu'elle ne voulait pas être sauvée. De quoi ? Ce n'était pas indiqué ! Elle est restée
debout, plantée au centre de la pièce, comme un reproche, immobile et muet, tenace comme un morpion, sans rien dire
ni regarder, en respirant à peine. Elle est entrée par le porte de devant et, dix minutes plus tard, sans
avoir été appelée par personne, elle est ressortie par la porte de derrière.
La
deuxième créature était très énervée. Elle s'agitait dans tous les sens. Donnant des coups de poing et de pied rageurs sur toutes les armoires et les forçant avec un couteau lorsqu'elles ne s'ouvraient pas assez vite. Elle y cherchait quoi ? Quelle drogue cachée ? Quelle île au trésor ? Quel cadavre enfoui sous des dossiers ? Quel secret de famille ou quel père biologique ? Quel pot de gelée de groseilles ou de confiture de coing ? Cette deuxième créature avait le crâne rasé et portait une balafre ou une vieille cicatrice, un tatouage ou une marque au fer rouge, une piqûre de scorpion ou une morsure de serpent, une pustule gangréneuse ou une tumeur cancéreuse sur
une de ses joues... qu'elle tentait fébrilement de dissimuler, d'effacer, de chasser ou d'arracher avec les mains.
Ensuite
était venue une troisième créature qui portait une capuche... Salut, mon frère !, et qui m'a tout de suite reconnu comme étant de sa famille. Cette créature m'a dit qu'elle avait subi une formation de pianiste classique de concerts en salle mais qu'elle avait, rapidement, délaissé le piano en noir et blanc, en habit, à queue (avec 88 touches, 3 pattes et un couvercle s'ouvrant à 45°) pour le piano en couleurs, équeuté, portable et en baskets... Et qu'elle avait pactisé avec le diamba, le likembe, l'arc musical (et le berimbau), le tambour, le saxophone et la schuiftrompet... Et qu'elle avait pris fait et cause pour le blues, la salsa, le reggae, la rumba congolaise, le ndombolo, les fanfares (celles qui jouent aux mariages et aux enterrements), le street jazz et le dirty rap... Et cette troisième créature, particulièrement loquace, m'a demandé alors ce que je pensais de sa bouillabaise personnelle... Zazou, zinneke, zoba-zoba ou poto-poto, mon frère ?, a retiré sa capuche et m'a invité à enlever ma cagoule... Pour que nous puissions causer plus librement, mon frère !, et m'a posé de nombreuses questions sur le Luabongo, sa Haute Hiérarchie, ses sorciers, ses services et ses crapuleux... Et aussi sur le concept de roman-guérilla qui l'intéressait particulièrement... Et sur les objectifs généraux et spécifiques que je poursuivais en écrivant mon roman... Et sur la notion de roman "by goal" dont les différentes séquences devaient être produites "just in time"...
Profondément ulcéré et dépassé par les événements, le
bâtonnier des Lettres (agitant furieusement un exemplaire du code de
bonnes pratiques) a
- Halte là !
fait jeter dehors cette créature trop entreprenante et s'est empressé de...
- Monsieur Vié ba Diamba, vous
étiez censé rester invisible et ne pas faire de politique ! Il y a rupture de consensus ! Vous voyez bien que votre seule présence dans une bibliothèque publique suffit à y attirer des gens de toutes sortes qui n'y ont pas leur place, des créatures sans références ni pedigree (de prétendues victimes, des drogués violents et même des activistes déviants) et qu'elle génère des nuisances sonores
intolérables pour nos meilleurs clients, les lecteurs d'histoires norrrmales pour gens norrrmaux !
me délivrer mon C4
- Passez la main, Vié ba Diamba ! Abandonnez votre buku qui ne sert à rien et qui n'intéresse personne ! Laissez la place à ddl !
Cela se
passera aussi dans la nuit du 5 au 6 avril 2016, pendant une deuxième mi-temps particulièrement disputée... la deuxième mi-temps d'une nuit qui, décidément, ne sera jamais tout à fait comme les autres.
Chaque fois que je ne me sentirai pas bien...
- Eheeeh ! Tu n'as qu'à prendre tes médicaments ! Je ne peux quand même pas les avaler à ta place ! Je ne suis pas ta mère !
ou que je serai déprimé, incommodé, constipé, grippé, fiévreux, patraque ou détraqué et que je chercherai ses conseils ou son réconfort...
- Eheeeh ! Va voir ton docteur Tran (ou ton docteur Beth) ou ton docteur Libertadis ou ta doctoresse Kazadi ou ton docteur Cadière ou ton docteur Gil ou ton docteur Ntounda (ou ton docteur Farahat) ou ton docteur Moens (ou ton docteur Mukendi) ou ton docteur Kolivras ! Je ne suis pas ton infirmière ! Ni ton médecin traitant, ton neurologue, ton urologue, ton nephrologue, ton dermatologue, ton ophtalmologue, ton gastro-entérologues, ton cancerologue ou ton gérontologue, que sais-je encore ! Naboyi na ngai !
ou que j'allumerai mon ordinateur dans notre chambre commune et de mon côté du lit...
- Eheeeh ! Va dans ton bureau !
ou que je lui demanderai de me trouver le mot qui frappe ou la tournure qui convient...
-
Eheeeh ! C'est toi l'écrivain !
ou de me dépanner avec une idée personnelle... que je pourrais bien lui voler...
- Eheeeh ! Fais marcher tes méninges ! Je ne suis pas ta muse, ni ton garagiste !
ou que je lui posereai une question et que je lui demanderai de me répéter sa réponse...
-
Eheeeh ! Mets ta prothèse auditive ! Je ne suis pas tes oreilles
ou de distinguer un objet ou d'identifier un visage
- Eheeeh ! Mets tes lunettes ! Je ne suis pas tes yeux !
ou que je solliciterai son savoir sur un point d'histoire ou son avis sur quelque chose...
- Eheeeh ! T'as qu'à faire un Google ! Je ne suis pas ton dictionnaire !
ou que je voudrai savoir si le riz est déjà cuit et dans combien de temps commence le film
- Eheeeh ! T'as qu'à regarder l'heure sur ton portable ! Je ne suis pas ta montre !
ou que je voudrai la serrer dans mes bras...
- Eheeeh ! T''as qu'à te trouver un oreiller ou un traversin ! Je ne suis quand même pas ton doudou ou ton nounours ! Il ne faut pas exagérer ! Naboyi na ngai !
ou que je lui questionnerai pour savoir ce dont elle a envie ou ce qui pourrait lui faire plaisir
- Eheeeh ! Je ne t'ai rien demandé ! Je ne suis pas ta patronne !
ma petite chérie, alias Mwana Danzé, me balancera...
- Pfff ! Maltraitance de personne âgée, oh !
- Eheeeh ! T'avais qu'à pas épouser une jeune, eh !
carrément dans les matiti, les ronces et les orties, le trou (celui dont parlait Victor Matondo), la barrière en acacias qui protège le village, le kikoso au fond de la parcelle ou la fosse à purin dans la cour de la ferme ardennaise (c'est selon)...
Je n'aurai plus beaucoup de place...
- Tu m'énerrrrrves trop !
dans la vie de ma femme mariée qui avait rêvé ...
- J'ai été trompée sur la marchandise !
d'un mari élégant, baraqué, bricoleur et
- Et t'es même pas drôle !
marrant mais elle accrochera quand même ses fétiches puissants et une petite cloche de sacritie (ou un chapelet de boîtes de conserves de concentré de tomates, éventrées et rouillées)
tout en haut de la porte de la chambre conjugale pour.que je ne
puisse pas m'enfuir, au petit matin sur la pointe des pieds, comme on oeuf se glisse subrepticement en dehors de sa coquille, comme une moule se décroche de sa bitte d'amarrage et prend la mer, comme un
escargot fugueur, une langue véloce ou un pied volage.
C'est vraiment si dur que cela pour ma femme mariée d'être la compagne de Vié ba Diamba alias ddl
- Eheeeh ! On ne sait jamais à qui on a affaire !
et pour ddl alias Vié ba Diamba d'être le compagnon de Mwana Danzé alias chérie na ngai ?
Mais on s'entend toujours merveilleusement bien sur toutes les choses essentielles !
Ça compense largement, non ?
*
Mais voilà que le jour se lève
et voici que mes cauchemars se dissipent...
Match esili. Pas de prolongations.
Pfff ! J'ai eu chaud ! Nabikiiii !