samedi 1 octobre 2016

Les AVENTURES de Vieux moins-le-quart à Bruxelles sous une pluie battante


DIDIER ET JPJ


(Illustration de Lieve Bellefroid)

Vieux moins-le-quart se réveille avec un sacré appétit de nouvelles fraîches. Il descend de son grenier, s'installe à la cuisine, lance la machine à laver la vaisselle, se fait bouillir un litre de café lavasse quotidien... et constate avec déplaisir que le livreur de journaux n’est pas passé. Après avoir vécu une nuit tourmentée de hibou à oreilles de chat, VMQ est en manque d'histoires réelles. Il est complètement addict et a besoin de sa dose journalière de bombardements à Alep et de cadeaux fiscaux faits par le gouvernement aux multinationales. Malgré la pluie battante, il se résout à faire quelques petites courses dans le quartier (se trouver de toute urgence un journal et ne pas oublier, comme promis à sa femme mariée, d'acheter "du citron pour le pili-pili" dans l'épicerie
- Pfff ! C'est dans quelle langue que vous vous disputez  ?
- En turc et en arménien !
de la place Fernand Cocq... dont les patrons s'engueulent méchamment devant leur seul client du moment, surtout lui).

Merte ! Il n’y a plus de marchand de journaux* à la place Fernand Cocq ! Et, aujourd'hui (jour de mariage en blanc et en jaquette sous une pluie battante) la boîte à livres de la maison communale d’Ixelles ne contient que des livres en allemand !
VMQ prend le bus 54 jusqu’à la Porte de Namur.

Merte ! Le marchand de journaux de la station de métro de la Porte de Namur n’ouvre pas le samedi !
Et celui du coin de la chaussée d'Ixelles et de la chaussée de Wavre est éventré et ne rouvrira pas* avant des mois, des années… ou même jamais!
VMQ prend le bus 71 jusqu’à la place Flagey.

Merte ! La station-service Shell de la place ne vend plus* de journaux ! Et la boîte à livres du site Flagey de la Faculté d'architecture La Cambre-Horta est presque vide... et sent le vieux pipi !
Après avoir interrogé
- Pfff ! Vous qui êtes dans le monde du papier, vous pourriez peut-être m’aider…
vainement la vendeuse d’un magasin de bande dessinée (en face de la friterie ex-Bosteels et de la tête grimaçante d'un vieux poète portugais décapité), VMQ se rappelle finalement l’existence d’un marchand de journaux au coin de la rue Borrens et
- Pfff ! Ce n’est pas trop loin ! Presque chez Jipéji ! Je pourrais même lui rendre visite !
de la chaussée de Boendael.

Telles sont les tribulations peu glorieuses de Vieux moins-le-quart, à Bruxelles, ce samedi  matin 1er octobre 2016, sous une pluie battante...
Eh oui ! VMQ ne participe plus à aucune équipée, il se contente de lire les journaux… de remonter la chaussée de Boendael à pied, obstinément, en soufflant et en râlant et de se faire éclabousser
- Pfff ! Pour me venger j'achèterai trois journaux : Le Soir, Le Monde et Libération !
par une camionnette de livraison, de prendre le 71 (ou le 54). Il ne supporte plus d'être contrarié et ne rend même pas
- Pfff ! Il pleuvait grave, non ? T'aurais voulu que j'attrape la crève ?
visite à Jipéji... si bien qu'à son retour à la rue Maes, il ne manque pas de se faire gourmander
- Pfff ! Pourquoi tu me cries dessus ?
- Parce que tu es sourd ! 
- Nandimi... mais quoi encore ?
- Parce que tu es criable et que tu négliges tes vieux amis et que tu gaspilles l'argent du ménage ! (Et tant qu'à faire, tu aurais pu m'acheter le Figaro Magazine, non ? pour les mots croisés...) Change-toi tout de suite et n'oublie pas de bien te frotter les cheveux !
par sa femme mariée, sa drogue dure qui, elle, ne lui fait jamais défaut.

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* C'est une épidémie ! En France...
- Internet m'a tuer ? 
aussi ! Claude Haïm confirme et m'envoie une webpage du Monde :
http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/10/02/vendeuse-de-journaux-pendant-vingt-cinq-ans-je-dois-fermer-boutique_5006979_4497916.html 
Faudra-t-il désormais acheter ses journaux chez Delhaize ou les lire sur son smartphone ou ne plus rien lire du tout (et ne plus écrire évidemment).


Vendeuse de journaux pendant vingt-cinq ans, je dois fermer boutique 

Isabelle Pélissié, 52 ans, a décidé de vendre la Maison de la presse qu’elle tenait à Paris (19e) depuis 1991.Isabelle Pélissié, 52 ans, a décidé de vendre la Maison de la presse qu’elle tenait à Paris (19e) depuis 1991. Elle témoigne :
« J’abandonne le métier que j’aimais : vendeuse de journaux. Car ce n’est plus
possible. Les clients qui s’en vont, l’impression qu’on me met des bâtons dans les
roues, les vols… Vendredi [30 septembre], c’est fini.
Et pourtant, je l’ai aimé ce métier. J’ai aimé les gens qui passaient prendre leur journal
de bon matin ; les gamins qui entraient pour regarder un résultat dans L’Equipe et que
je laissais faire, à condition qu’ils disent bonjour ; les personnes âgées qui viennent
causer l’après-midi ; l’écolier à qui il manque une fourniture ; ce jeune que j’ai aidé car il
n’avait jamais écrit une lettre ; cet homme qui a appris pour le Bataclan en entrant dans
mon magasin… Aujourd’hui, certains me tutoient et sont devenus des amis. D’autres
ont pris l’habitude de se livrer, de parler politique. Il y a des enfants que j’ai vu naître,
des ados qui ont trouvé refuge chez moi quand ils se faisaient embêter par la petite
bande du quartier, des clients âgés dont je me suis inquiétée car je ne les voyais plus.
J’ai emprunté 600 000 francs pour l’acheter
Cela fait vingt-cinq ans. J’ai commencé par hasard en travaillant dans la presse en bas
de chez moi, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). Je faisais l’ouverture,
réceptionnais les journaux, les installais, comptais les invendus… J’aimais ça. A cette
heure-là passaient les gens de chez Renault, qui venaient prendre leurs journaux avant
d’aller à l’usine. Moi aussi, je lisais, comme on nous l’avait conseillé dans mon BTS
d’action commerciale. Libération, Le Monde et Le Figaro, chaque jour.
J’ai fini par ouvrir mon propre magasin, avenue Simon-Bolivar à Paris, en 1991. C’était
déjà une maison de la presse, mais un peu vieillotte. J’ai emprunté 600 000 francs
pour l’acheter et je me suis lancée dans les travaux. Ça a marché. J’ai développé le
chiffre et pris quelqu’un. C’était les grandes années. Il y avait des gens qui achetaient
trois quotidiens par jour, sans problème ! A l’époque, un journal et un café, on en avait
pour moins de 10 francs. Les choses ont commencé à changer vers 2000. Petit à petit,
mes clients ont vieilli, sans être remplacés par la nouvelle génération. A cette époque,
j’en ai aussi vu se replier sur leur religion ou leur communauté, et me dire qu’ils
n’avaient plus confiance dans les médias.
Il y a eu les augmentations de prix. J’ai vu des gens se mettre à lire Aujourd’hui en
France parce qu’il était 20 centimes plus bas que les autres, d’autres ne plus acheter
leur quotidien qu’une fois par semaine. Se lasser aussi des magazines et de leurs
couvertures à répétition sur les juifs, les francs-maçons, les tops… Je crois aussi que
les gens ne veulent plus payer pour la culture. Les jeunes téléchargent gratuitement de
la musique, des films, ils ne regardent la presse que d’un oeil. Ces derniers temps, les
journaux ne représentent plus que la moitié de mon chiffre d’affaires. Le reste, c’est la
papeterie et un peu les livres, deux choses sans lesquelles je n’aurais pas pu tenir. J’ai
surtout des personnes âgées et quelques enfants qui viennent pour les images Panini
ou les gadgets. Je ne fais plus que 500 euros environ par jour, alors qu’avant c’était le
double.
Depuis mai, je suis régulièrement volée
Ce qui nous a aussi fait souffrir, c’est les grèves. Notamment celles de fin 2012, début
2013 [contre le projet de restructuration des NMPP, le distributeur de la presse]. Cela
me rendait folle, on n’était plus livrés et les journaux n’en parlaient pas ! Là, les gens
ont décroché et certains ne sont jamais revenus. J’ai fini par avoir un retard de
paiement de trois jours, car les grèves avaient vidé ma trésorerie. Presstalis [ex-NMPP]
m’a aussitôt coupé les livraisons. J’ai trouvé ça scandaleux, sachant que je n’avais eu
aucun problème en vingt-cinq ans. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à penser à
arrêter.
Mes relations avec Presstalis ne se sont pas améliorées. On parle à une plate-forme
téléphonique avec des gens qui ne savent pas grand-chose du métier. C’est épuisant.
On a des stocks qui ne correspondent pas à la demande. J’ai perdu l’envie de les
appeler. La cerise sur le gâteau, c’est les vols. Chez moi, il y a un sas entre la porte en
verre et le rideau de fer, les livreurs y déposent les paquets de journaux pendant la
nuit, ça a toujours très bien fonctionné. Mais depuis mai, je suis régulièrement volée.
J’ai déposé plainte, écrit à Presstalis, mais ça n’a rien donné. Alors je viens plus tôt, à
6 heures, pour rentrer mes paquets à l’intérieur du magasin. Puis, je repars chez moi et
reviens au magasin pour 7 h 30, jusqu’à 20 heures, six jours sur sept. Je gagne environ
1 000 euros net par mois.
J’ai fini par mettre en vente les murs et le fonds de commerce. Aux agences, j’avais
donné la consigne que je voulais quelqu’un qui continuerait à faire de la presse.
Personne ne s’est manifesté. J’ai mis un an à accepter que ça puisse devenir autre
chose. J’ai finalement fait affaire avec un investisseur. J’ai annoncé la fermeture début
septembre. J’ai été surprise des réactions. Un monsieur m’a dit : « C’est dommage,
c’est vraiment utile ce que vous faites. » Je lui ai dit : « Mais vous, avant, vous achetiez
votre journal tous les jours, et vous avez arrêté… » Certains me disent : « Vous savez,
vous êtes la seule personne à qui je parle dans la journée. » Il y a des personnes âgées
et des enfants qui pleurent. C’est touchant.
Je ne suis pas amère, mais triste pour ce métier
Je ne sais pas ce que je vais faire. J’ai 52 ans, je pars sans dettes. Je vais commencer
par ne pas travailler pendant six mois, après n’avoir pas eu de temps pendant trente
ans. J’irai au cinéma, je verrai mes amis, la famille en province, je voyagerai. Je ne sais
pas si je lirai les journaux. Peut-être Le Parisien le vendredi et un autre journal quand il
y aura des sujets que je veux approfondir.
Je ne suis pas amère, mais je suis triste pour ce métier, qui est très beau. Ça devient
de l’esclavage moderne avec des gens qui ne comptent pas leurs heures et ne gagnent
pas grand-chose. Je revois la queue devant le magasin pour le retour de Charlie
Hebdo après le 7 janvier 2015. On avait eu 150 commandes et à peine une
cinquantaine d’exemplaires livrés… J’arrive une heure plus tôt, je vois une file
incroyable, je préviens les gens qu’ils n’en auront pas. Ce jour-là, ils se sont rendu
compte que les marchands avaient presque disparu. »











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